Roi Roham Rivegard

www — La nuit avait resserrée ses griffes autour de Diadème, n'offrant que l'obscurité et le froid. La morsure gelée de la neige environnante se voulait encore plus dangereuse et le château — bien qu'étant un édifice des plus honorable, avait du mal à conserver de la chaleur. Elle semblait s'évader au fil des secondes, passer entre les murs de l'immense bâtisse. Les appartements du souverain n'était pas exempt de ce constat ; lui aussi ressentait la température négative, elle dansait et piétinait son esprit qui à contrario ne cessait de voir rouge. Il fallait sauver les siens. Vite.

Ses pas résonnaient dans la tour tandis qu'il descendait les marches avec lenteur, pensif. Son regard était vide comme depuis des mois, son expression se voulait elle l'émissaire de la dureté tant ses traits étaient crispés. Les mains jointes dans son dos il déposait son attention sur l'extérieur dès lors qu'une fenêtre ou qu'un vitrail se présentait à lui. Puis des domestiques, des malchanceux qui croisaient sa route — tous baissaient la tête par instinct et se contentait de lui laisser la place. Quelque chose dans son aura laissait penser une soirée agitée en perspective.
Un repas de famille. Oui, longtemps que les trois têtes couronnées n'avaient pris le temps de poser leurs royaux fessiers autour d'une table et pourtant, voilà que par surprise un tel banquet privé était organisé. Le roi qui avait pour simple idée de rester à l'écart comme depuis longtemps avait fini par accepter, ressentant que quelque chose se tramait. Roham devait savoir.

La pièce était à moitié dévoré par la pénombre, les seules sources de lumière étant les chandelles placées tout au long de cette immense table en longueur. Sur cette dernière trônait des mets différents tous plus succulent au regard qu'à l'odeur. Le souverain entra sans un mot remarquant l'absence de ces chérubins — il avança dans un soupir puis recula sa chaise présente en bout de table. Qu'il n'ose pas le faire attendre ! Il prit place en croisant les jambes puis les bras ne tardèrent pas, ces derniers totalement ensevelis sous le tissus de ses manches amples. Une servante s'empressa alors de lui remplir son verre d'un vin rouge comme le sang, geste que Roham remercia d'une inclinaison de menton. Puis un bruit, un son de porte insinuant l'arrivée d'un des convives. Lilith, il espérait avec ardeur.

Judgement around food

Elle était en retard. Fait étonnant, considérant qu'elle préférait être toujours en avance. Mais la demoiselle avait été trop plongée dans sa lecture et s'était autorisée un écart de cinq minutes. Cela avait malgré tout suffit à chambouler son emploi du temps. Et se déplacer dans le château dans une robe des plus formelles était moins aisé qu'il n'y paraissait. Elle arpentait les couloirs à vive allure, tenant les pans de sa robe tout en manquant de saluer les gardes de l'endroit. Ces derniers semblaient amusés de la voir si pressée et de toute évidence, en retard. La princesse préféra ne pas faire de commentaires ; la soirée serait sans doute déjà assez animée entre son royal paternel et son insouciant de frère. Néanmoins, la perspective de pouvoir se retrouver en famille lui arrachait un sourire. Les occasions étaient peu nombreuses et bien qu'elle ne l'admettrait pas ouvertement, ces deux-là étaient importants et une soirée de ce genre lui avait manqué.

Même avec ses cinq minutes de retard, elle ne s'attendait pas à trouver les deux hommes de la famille déjà présents, installés sur leurs chaises. Si elle fut surprise un bref instant, elle n'en oublia pas les formalités. Elle effectua une courte révérence, tirant les deux pans de sa robe dans la plus grande des élégances.

« Veuillez pardonner mon retard, père. Elle releva à peine ses yeux, pour ensuite venir les poser sur son frère. Mon frère, il est rare de te voir si ponctuel. »

Les mots étaient faibles. Proba était d’ordinaire si insouciant qu'il serait arrivé avec plus de dix minutes de retard, et voilà qu'il était à l'heure ? Ou bien son aîné avait développé un intérêt pour la politesse, ou bien il avait quelque chose à se faire pardonner ; et le connaissant, Lilith penchait pour la deuxième option. Elle n'attendit pas que ce petit monde se mette à bouger pour venir rejoindre son siège, permettant enfin à la soirée de véritablement commencer.

« Je suis ravie que vous aillez pu vous libérer, père. Il y a trop longtemps que nous ne nous étions pas retrouvés. Elle lui offrit un sourire sincère, tournant ses yeux vers son aîné. Je suis sûre que Proba illuminera la soirée, comme d'habitude ! »

Son regard malicieux voulait tout dire. Son frère était bien des choses, et elle l'avait toujours trouvé amusant et capable de milles et un exploit. Il était formidable, à sa manière. Mais la jeune femme savait pertinemment qu'il ne tenait qu'à elle de détendre l'atmosphère, de parvenir à faire en sorte que ces deux-là puisse avoir un dîner civilisé et où ils puissent tout deux oublier un instant les affaires pressantes du pays et de la cour. Même s'ils avaient des responsabilités, ils ne devaient pas oublier de se détendre et le roi était tendu en permanence. Elle observa un peu plus longtemps les deux hommes, avant de prendre à son tour sa coupe, goûtant du bout des lèvres le vin qui était servi.

Roi Roham Rivegard

www — Proba. Pourquoi avait-il fallu que le premier à fouler le sol de cette pièce soit lui ? Il avait beau être son fils, son sang et sa chair le souverain ne pouvait plus supporter sa progéniture. Le garçon ne prenait que de mauvaises décisions en pensant représenter la bonne façon de voir les choses. Pauvre petite créature, si seulement tu pouvais réaliser que le mauvais et le bon côté n'existent pas, tout n'est qu'une question de point de vue. Le regard figé dans sa direction Roham se voyait submergé par de moult sensations. Son corps vivait comme de l'harmonie à sentir sa présence mais son sang, lui, se mettait à parcourir son corps à tout allure, son cœur battait à tout rompre et sa mâchoire était crispée serrant ses dents sous l'appui.

Le rire de son fils le fît hausser un sourcil au fur et à mesure qu'il l'entendait — comment osait-il se rire de lui comme si ce môme n'avait que cinq ans ? Bien longtemps qu'ils ne sont plus un père et son fils, que leurs choix ont créé un fossé entre-eux. Ne me donnes dont pas l'image d'un homme mal élevé lionceau. Il accentuait non sans moquerie son dernier terme, ce doux sobriquet à son égard. J'accepte déjà de t'offrir ma présence je pense cela suffisant. Tu devrais me dire merci et non te permettre ne serait-ce qu'une bribe de rire dans ma direction.
Comme pour se retenir Roham vint boire une gorgée de sa boisson sans prendre la peine de tendre son verre vers Proba. L'ignorance, il valait mieux en user et en abuser pour le moment. La douce n'allait de toute évidence pas tarder à arri... Le souhait du roi se fît soudain car la porte s'ouvrit à nouveau pour laisser entrevoir Lilith qui pénétra dans la pièce. Tu es tout excusée ma chère, tu es une femme occupée. Il voulu la comparer à son frère mais se ravisa.

Levant la main vers les domestiques figés contre les murs de la pièce, le souverain leur intima d'un simple claquement de doigts de venir les servir. Ils savaient sans mal les goûts de ce dernier et Roham ne prit donc pas la peine de préciser quoique ce soit. J'ai fait de mon mieux mais je suis ravi que ma présence te mette en joie Lilith. Pour le reste... nous verrons cela. Regard dédaigneux vers Proba puis il tendit sa main vers ses enfants avant de la laisser retomber avec lenteur sur l'accoudoir de son immense chaise. Bien, qu'avez-vous à me raconter tous les deux. J'espère que vous œuvrez pour Cinis avec brio. Je n'ai guère le temps de vous surveiller en ce moment, les différents escarmouches avec Petram me prennent du temps voyez-vous. Mensonge habile car jamais ses hommes n'ont quitté Proba ou Lilith des yeux. L'homme avait toujours la main sur les affaires du palais.

Judgement around food

Lilith releva ses yeux lilas vers son père, l'observant un bref instant avant de reporter son attention sur son frère. Lui n'avait visiblement pas l'air décidé à parler - il avait même l'air morose. Elle attendit que l'entrée soit déposée devant elle pour prendre la parole.

« J'ai passé les derniers jours à faire le point sur les ressources disponibles. L'assiette lui faisait envie, ça avait l'air délicieux. Si la guerre s'éternise, il faudra pouvoir s'occuper de nos citoyens et s'assurer que nous ne tomberons pas sous la famine. Nous ne pouvons pas traiter avec n'importe quel autre pays sans précautions, donc je suis en train de voir comment récupérer efficacement des ressources sans que cela nous apporte un désavantage. »

C'était peu dire. La volonté du peuple de Cinis était forte, mais cela ne voulait pas dire qu'il ne fallait pas penser au pire scénario possible. Et la jeune princesse avait tendance à envisager le pire. Mieux valait être préparé à tout que de se retrouver acculé. Cela ne l'empêcha pas de savourer les mets qui étaient servi. Elle adorait la nourriture. Surtout celle aussi bien préparée. Elle savoure sa bouchée et est prête à continuer sur ses conclusions, mais Proba ne semble pas d'humeur à parler de la guerre. Certes, il y avait plus joyeux autour d'un repas de famille. Elle mit son hésitation sur le compte de sa défiguration ; la guerre l'avait changé, traumatisé même. Qu'il veuille s'en éloigner quelque temps lui paraissait compréhensible, mais elle espérait qu'il n'oublierait pas pour autant son devoir envers le peuple. Sentant monter les tensions, elle s'efforça de calmer le jeu.

« La guerre ne durera pas éternellement, Proba. D'une manière ou d'une autre. Ses pensées dévièrent, offrant un sourire taquin à son aîné. Il fallait détendre l'atmosphère. Mon cher frère, personne ne doute de tes prouesses au piano ! En parler ne nous ferait aucun bénéfice ; il serait bien plus agréable de t'entendre en jouer. »

S'il jouait de la musique, leur père ne dirait rien - au moins le temps de la mélodie. Elle retint un soupir. Lilith savait pertinemment que son petit manège ne pourrait pas durer, lui non plus. La tension entre les deux hommes était trop forte. Elle se contenta de dévorer son assiette, observant ce qu'il restait du plat principal. Elle bu deux gorgées de vin, espérant pouvoir contenir son exaspération. Coincée entre ces deux hommes, elle se demandait si cette idée de repas en famille n'était finalement pas qu'une vaste plaisanterie.

Roi Roham Rivegard

www — Au fond de lui le roi enviait certaines facettes de ses enfants ainsi que ce furieux besoin de détendre l'atmosphère. Bien longtemps que le Roham n'avait pu se targuer d'avoir pu soupirer de soulagement ou bien de rire avec bonheur. Il ne cessait de déposer son regard sur l'extérieur du château, observant cette neige à perte de vue, cette étendue venant ensevelir sa nation et tout ce que les siens ont construit depuis tant d'années. Le froid dévorait son peuple et plus ce dernier se le permettait plus le souverain avait du mal à respirer, plus son corps se crispait face au constat de cet échec en perdition et cette mort planant au dessus de Cinis.

La faim se voulait discrète, elle venait puis s'évaporait à nouveau — face à lui le repas lui donnait cette envie folle de se nourrir et pourtant son âme se sentait prête à vomir dès lors qu'il profiterait d'un tel festin tant son mal-être de ces derniers temps écrasait ses poumons et son estomac. D'un geste succinct le roi se contenta d'attraper un raisin qu'il détacha de la grappe avec aisance. D'une traite il le plaça dans sa bouche puis l'acheva d'une simple bouchée. 
Son attention vint se figer sur son fils prônant puis le silence, levant les yeux au ciel il préféra placer son regard sur Lilith qu'il laissa parler pour lui offrir réponse. Sage décision ma douce. Il accueille ses propres paroles à l'égard de sa fille d'un fin sourire. Je suis heureux de t'avoir à mes côtés, tu ne cesses d'agir avec sagesse. D'ailleurs, as-tu pu te rendre en ville pour évaluer la situation du peuple ? Je ne peux plus le faire et cela me fait naître de la culpabilité.

Puis le roi se figea net à l'écoute des mots de Proba. Crispation une nouvelle fois. Comment te faire comprendre sans user de la violence que tu m'exaspères, lionceau ? Son regard devenait sombre tandis qu'il le plaçait sur son fils, le dévisageant sans user de pincettes. Ne se rend-il pas compte de l'état du pays ? Est-il de fait un imbécile profond ? Nous ne sommes pas une belle famille des contes pour enfant. Nous sommes nés avec des responsabilités, des choses à gérer. Nous sommes les Rivegard, ressaisis-toi. Roham tendit le bras pour attraper son verre.

Il le garda en main et reprit sans prendre le temps de boire une gorgée. Nous avons le luxe de vivre dans ce château en échange nous devons nous vouer corps et âmes pour cette nation. Non je n'ai pas le temps de demander quel livre lis ta sœur ou tes potentiels atouts au piano. Des gens meurent à Cinis Proba. Tu entends, cernes-tu cette phrase ? Le climat abjecte massacre notre peuple. Enfin le souverain avala un peu de vin. Alors non je ne cesserais pas de parler de cette guerre tant que nous n'aurons pas fait regretter aux coupables cette situation. Il amena sa main à son visage puis se pinça l'arrête du nez du bout des doigts comme pour mimer son exaspération. Vous êtes mes enfants, vous êtes ceux en qui je suis censé avoir le plus confiance.